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Les questions écologiques ont pris une importance croissante dans le débat public, depuis environ une cinquantaine d'années, lorsqu'on a pris conscience de la puissance de destruction désormais à notre disposition, mais aussi des conséquences de la pollution engendrée par l'exploitation industrielle des ressources naturelles de la planète.
Les chrétiens n'ont pas vraiment su anticiper cette crise (ni plus ni moins que les non-chrétiens) ; ils n'ont pas toujours non plus réagi avec la rapidité que l'on était en droit d'attendre de leur part, sauf peut-être dans quelques cénacles théologiques ou œcuméniques, où l'on s'efforçait pour le moins de réfléchir. Mais depuis une vingtaine d'années, le mouvement s'inverse parmi les chrétiens, non seulement dans le domaine de la réflexion à ce sujet, mais aussi dans la pratique. Des scientifiques chrétiens impliqués à divers titres dans la protection ou la gestion de l'environnement, commencent à envisager leur travail dans une perspective chrétienne, alors qu'ils avaient souvent tendance à séparer les domaines de leur foi et de leur travail. Nous allons donc, dans un premier temps, essayer de saisir quels sont ces liens entre la foi chrétienne et l'environnement, pour proposer ensuite des solutions pratiques.
Dieu créateur Le thème des origines et la théorie de l'évolution des espèces a divisé les chrétiens. Des scientifiques et des théologiens, chrétiens ou non, continuent de se pencher sur cette question, le plus souvent avec sérieux et compétence : leurs travaux peuvent inspirer notre propre réflexion. Mais quelles que soient nos convictions sur la manière dont Dieu s'y est pris pour créer le monde, nous croyons que Dieu est notre Créateur. C'est l'un des articles fondamentaux de notre confession de foi chrétienne. Dans la Genèse, plusieurs verbes précisent le mandat adressé par le Créateur à ses créatures : remplir, dominer, soumettre et cultiver la terre. Ce mandat " culturel " demeure après la chute, mais il est plus difficile à mettre en œuvre, après que la malédiction prononcée par Dieu a affecté la nature et les êtres humains.
Multiplier et remplir Il est louable de vouloir nourrir convenablement une population en forte croissance : environ 1 milliard d'individus au début du 19e siècle, 4 milliards en 1930, 6 milliards en 2000 ; ce chiffre pourrait atteindre 12 à 14 milliards d'individus d'ici un siècle, d'après les spécialistes. Il semble qu'il soit possible de nourrir cette population, à condition toutefois qu'aucune perturbation majeure, climatique ou politique, ne survienne. On constate cependant que la solution au problème de la faim est souvent entachée par la recherche effrénée du profit.
Dominer et soumettre La domination immodérée sur la nature depuis l'âge industriel, l'exploitation presque sans borne de toutes les ressources naturelles de la création, ont des conséquences aujourd'hui tragiques. Il est anormal que la course à la productivité et à la rentabilité ait conduit les éleveurs à utiliser, souvent sans discernement ni précautions suffisantes, des farines animales, des antibiotiques ou des hormones de croissance. L'excès contraire ne vaut pas mieux : certains systèmes religieux ou courants écologiques préconisent en effet la méthode douce, le " laisser-faire ", par idéal mystique ou par fatalisme. Parmi les adeptes du mouvement nébuleux et syncrétiste du Nouvel Age, beaucoup prônent un respect de l'environnement qui semble a priori très estimable, mais il s'inspire en réalité d'une vision panthéiste et orientale de la nature.
En communion avec Dieu Selon la Genèse, les hommes et les femmes étaient invités à remplir, dominer et cultiver la terre en communion avec Dieu, avec la sagesse et le discernement que Dieu leur inspirait. Il ne s'agissait pas pour eux de rester passifs ou d'exercer leur tyrannie sur la création, mais plutôt d'en prendre soin pour le bien de toutes les créatures et pour la gloire du Créateur. L'un des verbes traduits par dominer, l'hébreu radâ, apparaît à quatre reprises dans le Lévitique, dans le cadre des lois sur l'esclavage : les Israélites ne doivent pas dominer sur leurs frères de façon tyrannique (Lv 25 et 26).
Cultiver et garder Les verbes "garder" (shamar) et "cultiver" (avad) ont une connotation religieuse : on garde les commandements de Dieu, et le verbe avad peut avoir le sens de " rendre un culte ", " servir Dieu " : il est employé pour désigner l'activité des lévites dans le tabernacle dressé dans le désert. Les lois de l'Ancien Testament, énoncées par Moïse et rappelées par les prophètes, mettent en évidence le lien entre la terre, sa fécondité, et l'obéissance morale et religieuse du peuple de Dieu. La terre qui ne peut " jouir de ses sabbats " finit par " vomir " ses habitants. L'image biblique est éloquente ! La création ne supporte pas cette surexploitation, elle en est malade… Nous pouvons soumettre la création, à condition de rester nous-mêmes soumis à Dieu, à ses commandements, à condition de demeurer en communion avec Dieu.
Révélation et responsabilité La révélation de Dieu dans la nature (Rm 1.20) est partielle ; elle ne conduit pas au salut, mais elle rend les hommes et les femmes responsables " de ne pas avoir rendu leur culte au seul vrai Dieu ". Au lieu de dominer " les poissons, les oiseaux et les reptiles ", les hommes en sont réduits à adorer ces créatures, à les diviniser. Les péchés dénoncés par l'apôtre Paul dans la suite de sa lettre aux Romains trahissent la prétention des êtres humains à la démesure, à franchir les limites de leur condition. Or, c'est dans le respect de nos limites, avec l'aide et la sagesse de Dieu, que se trouve l'alternative à cette exploitation démesurée de la création.
Une bonne gestion de la création L'homme prétend mettre en œuvre sa raison et sa vision mécaniste du monde, mais sa volonté de dominer la création, afin d'en tirer le plus grand profit - et le plus immédiat -, le conduit à l'appauvrir de façon aujourd'hui alarmante, à polluer cette création d'une manière parfois irréversible à court ou moyen terme, à la modifier (notamment sur le plan génétique) sans toujours maîtriser ces changements, un peu comme l'apprenti sorcier. On a recensé, dans le monde, environ 400 000 plantes et 1 300 000 animaux ; il y aurait en réalité quatre à cinq fois plus d'espèces. Nous avons encore du travail pour identifier et nommer les plantes et les animaux de ce monde ! Mais les milieux les plus riches disparaissent rapidement, en particulier la forêt équatoriale des pays en voie de développement, par centaines et même par milliers d'hectares chaque jour. On avance que deux espèces animales ou végétales disparaîtraient chaque jour. Les causes de ces disparitions prématurées sont en partie la pression démographique et urbaine, l'extension des zones industrielles et résidentielles souvent au détriment de terres fertiles, la destruction des zones humides et forestières, l'usage abusif des pesticides, les pratiques agricoles discutables, mais aussi nos mauvaises habitudes.
Après moi, le déluge ! Nous vivons avec la pensée, plus ou moins consciente, que nos ressources sont sans limite, que la diversité biologique ne semble pas vraiment souffrir d'un appauvrissement, qu'il y a aura de toute façon " une solution " et que l'homme vaut bien plus qu'une fleur, un oiseau, un poisson, un coléoptère ou un serpent. Nos réserves énergétiques et l'eau potable sont limitées, et nous devons changer nos modes de comportement si l'on veut que les générations suivantes vivent dans des conditions acceptables. Les chrétiens ont tendance à mettre l'accent sur le retour de Jésus-Christ, le jugement dernier, la dissolution de toutes choses évoquée par l'apôtre Pierre dans sa deuxième lettre (2 Pi 3.10-13), la fin de ce monde. Mais cette fin a commencé depuis deux mille ans, Jésus et ses disciples l'affirment. La discontinuité entre l'ancienne création et la nouvelle n'est peut-être pas aussi radicale qu'on le pense généralement. La Bible évoque aussi la continuité entre cette création devenue corruptible et la nouvelle création incorruptible à venir, qui est déjà révélée en Jésus-Christ ressuscité. Dieu demeure le Seigneur de toute la création, de toute créature, et c'est l'ensemble de cette création régénérée qui est appelée au salut (Rm 8), au rétablissement de toute chose évoqué par l'apôtre Pierre, à la restauration de relations justes, dans la foi en Jésus-Christ, entre les créatures et leur Créateur, mais aussi entre les créatures elles-mêmes.
La protection : une urgence En dehors de l'action menée par les chercheurs et les pouvoirs publics, plusieurs mesures simples, à notre portée, peuvent être mises en oeuvre : Résister tout simplement aux tentations de la publicité : sachons nous contenter davantage de ce qui est nécessaire et non superflu pour vivre. Réduire notre consommation d'essence ? c'est d'actualité ! ?, et marcher davantage ou utiliser nos vélos ! Lutter contre la pollution domestique et pratiquer systématiquement le tri sélectif des déchets en vue du recyclage. Dénoncer la désinformation dont nous sommes souvent l'objet dans le domaine de l'environnement. Etre davantage présent dans le débat public. Faire entendre notre voix, individuelle ou collective (à l'échelle d'une église ou d'une union d'Eglises, par exemple) auprès des autorités locales, régionales ou nationales, pour les encourager à prendre des mesures saines visant à protéger l'environnement. Aborder ce sujet lors d'un débat dans nos églises et trouver ensemble des solutions pratiques, etc.
Le ciel sur la terre ? L'homme ne peut établir le royaume de Dieu sur terre, grâce à son intelligence, son habileté technique, ni même grâce à ses mesures de préservation de l'environnement. Nous ne sommes pas contre le progrès et l'évolution des techniques, qui nous procurent un certain confort ! Mais ce confort, sans Dieu, peut être un piège, dès lors qu'il nous conduit à ne plus reconnaître en Dieu notre Créateur, dont nous demeurons dépendants. Nous ne devrions pas agir comme au moment des soldes, où l'on voit écrit en grosses lettres sur les vitrines des magasins : " Tout doit disparaître ! " Nous devrions nous conduire avec sagesse, pour économiser nos ressources, protéger le patrimoine naturel qui nous est confié, penser aux générations futures et dénoncer l'égoïsme de notre génération, car nous ne connaissons ni le jour ni l'heure du retour de Jésus-Christ. Nous partageons cette responsabilité avec l'ensemble de nos contemporains : les autorités politiques, les industriels, les chercheurs et les biologistes, les agriculteurs, les grands distributeurs… et les consommateurs que nous sommes tous ! Notre bonne gestion des ressources de cette création peut ainsi devenir le signe, souvent fragile, du Royaume de Dieu à venir. Prendre soin de la création, c'est aussi une façon d'aimer Dieu et notre prochain. Source : Construire Ensemble Frédéric Baudin
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