Fête des Rameaux : le Messie et l'ânon

L'entrée de Jésus à Jérusalem, messie humble et rejeté

La ville de la plus grande joie et de la plus grande tristesse
Quelle joie plus grande au temps de Jésus, que de monter à Jérusalem pour les grandes fêtes de pèlerinage, en particulier celle de Pâques. Les foules qui entourent Jésus aux portes de la ville partagent cette joie. Pour Jésus elle est mêlée de gravité. En chemin, il a plusieurs fois annoncé à ses disciples que Jérusalem est pour lui la ville de la Passion et de sa mort sur une croix. Il a pleuré avec amertume aussi sur la ville : «Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble sa couvée sous ses ailes… et vous n'avez pas voulu !» (Lc 13, 34).

Au terme du parcours
L'évangéliste Jean parle de plusieurs montées de Jésus à Jérusalem au cours de son ministère. Et probablement est-il au plus près de la réalité en disant cela. Les trois autres évangélistes, que l'on désigne habituellement comme «synoptiques», parce qu'ils sont très proches et que l'on peut les placer aisément en regard, même s'ils comportent aussi de nombreuses différences, ne mentionnent qu'une seule montée à Jérusalem. Elle est… le terme du chemin entrepris par Jésus en Galilée dès le début de sa prédication.
Ce qui se passe en effet à l'entrée de la ville est comme une synthèse très forte des gestes et des paroles de Jésus tout au long de sa vie : il se présente en messie humble, ami des pauvres et des petits, proche aussi des pécheurs à qui il annonce la tendresse et le pardon de Dieu. Mais ses paroles et ses actes manifestent une liberté absolue, celle du Fils, lorsqu'il parle de Dieu comme de son père et qu'en son nom il pardonne. Il a blasphémé disent très vite les pharisiens et les grands prêtres, qui le rediront lors de la Passion, ajoutant d'une seule voix qu'il mérite la mort.
Ce qui se joue à l'entrée à Jérusalem est essentiel. Nous sommes au cœur de l'évangile.

Des récits différents
Les évangélistes racontent différemment cette scène. Jean dit simplement les choses : «Trouvant un ânon, Jésus s'assit dessus» (Jn 12, 14). Son récit porte en même temps une tonalité plus politique : les foules portent les «palmes» que l'on retrouve par exemple sur les pièces impériales. Marc sur ce point a des mots simples : les foules prennent «des feuillages qu'ils coupaient dans la campagne» (Mc 11, 8). Chez Matthieu ce sont «des branches» qui rappellent les fêtes de la Dédicace du temple.
Justement, Jésus va vers le temple, et l'on suit le scénario d'une autre fête importante, celle de Sukkôt ou des Tentes, rappelant le temps du nomadisme au désert, durant lequel Dieu veillait. Le scénario est celui que chante le Ps 117 (118) : rameaux en main, la foule s'approche dans la liesse, jusqu'aux «cornes de l'autel». Et elle lève le rameau à plusieurs moments précis et au cri du Hosanna, au point que l'on désignait parfois le rameau du nom de «
Hosanna» !

Hosanna !
«Sauve-moi !» ou «sauve nous !», tel est le premier sens du mot Hosanna, le cri que le pauvre adressait au roi qui pouvait le sauver et lui faire justice. C'est aussi ce cri que le peuple lance vers Dieu dans sa marche vers le temple : «Donne, Seigneur, donne le salut» (Ps 117, 25). En la fête de Sukkôt célébrée à l'automne, on demandait aussi par ce cri l'eau pour les semences et moissons à venir. Mais dans le cadre de la fête, le terme est devenu une acclamation, se séparant peu à peu de son sens premier et reprise plus tard dans la liturgie chrétienne, pour dire l'attente eschatologique, l'attente de la venue définitive du Messie. Le verset suivant ne dit-il pas dans le même sens : «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !» (Ps 117, 26).

A mort !
Celui qui «vient au nom du Seigneur», comme le crient les foules dans la liesse, si proches du cœur de Jésus, va être refusé par la ville, qui se raidit de tout son être à sa venue. Matthieu le dit dans une figure forte (en grec c'est le mot séisme, qui il est vrai est le signal discret que s'opère ici une révélation de Dieu).
Ainsi Jésus entre dans la ville de Dieu. Déjà au temps des mages, Hérode s'indignait et tremblait (Mt 2, 3). C'est désormais le front du refus. Jésus aura maille à partir avec les grands prêtres et les scribes. La confrontation sera forte, l'évangile le dit en plusieurs chapitres très vifs, qui s'achèveront par la croix… Et le troisième jour, la résurrection, le signe le plus fort de Dieu.

Le Messie humble
Le messie qui entre dans la ville est un messie humble : il est assis sur un ânon, incomparable avec les montures romaines. Déjà il l'avait dit aux foules en peine : «Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur» (Mt 11, 28-30). Ceux qui l'entourent à l'entrée dans la ville de Dieu, ce sont les foules, les petits et les pauvres, qui le reconnaissent et l'acclament. Or Matthieu plus que les autres, le montre : oui, c'est «le Seigneur» qui vient. Du temple et de toute vie il attend la miséricorde et non les sacrifices» (Os 6, 6 ; cité deux fois par Matthieu : Mt 9, 13 ; 12, 7).
Grands prêtres et scribes veulent faire taire les foules. Mais Jésus s'y oppose. Et Luc a même ici un mot terrible et fort : «
Maître, disent-ils, arrête tes disciples !» Mais il leur répond : «Je vous le dis : s'ils se taisent, les pierres crieront»  (Lc 19, 39). Et le lecteur lui-même, lisant ces lignes, est amené à se prononcer lui aussi, sur le Messie humble. Jacques Nieuviarts

Dimanche des Rameaux

ÉVANGILE selon Luc 19 : 28 - 40 (d'après la TOB)
Jésus est en route pour monter à Jérusalem.
Alors qu'il approche de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont dit des Oliviers, il envoie deux disciples en leur disant : « Allez au village qui est en face ; en y entrant, vous trouverez un ânon attaché que personne n'a jamais monté. Détachez-le et amenez-le. Et si quelqu'un vous demande : Pourquoi le détachez-vous ? Vous répondrez : Parce que le Maître en a besoin ».

Les envoyés partent et trouvent les choses comme Jésus leur avait dit.
Comme ils détachent l'ânon, ses maîtres leur disent : « Pourquoi détachez-vous cet ânon ? »
Ils répondent : « Parce que le Maître en a besoin ».
Ils conduisent alors la bête à Jésus, puis jetant sur elle leurs vêtements, ils font monter Jésus ; et à mesure qu'il avance, ils étendent leurs vêtements sur la route.

Alors qu'il approche de la descente du mont des Oliviers, tous les disciples en masse, remplis de joie, se mettent à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu'ils ont vus.

Ils disent : « Béni soit celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! »
Quelques Pharisiens, du milieu de la foule, disent à Jésus : « Maître, reprends tes disciples ! »
Il leur répond : « Je vous le dis : si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront ».

L'entrée de Jésus à Jérusalem, entrée que l'on célèbre le dimanche des Rameaux précédant celui de Pâques, inaugure la semaine sainte, celle de la passion de Jésus. Le récit qu'en font les évangiles selon Matthieu (21.1-11), Marc (11.1-11) et Jean (12.12-19) est beaucoup plus sobre que celui rapporté par Luc (19.20-44) qui donne à cet événement une ampleur de grande envergure pour les raisons apologétiques que l'on devine. À ses yeux, et au regard des chrétiens de son temps, Jésus ne pouvait être en reste vis-à-vis des empereurs romains divinisés qui entraient dans Rome au son de trompettes retentissantes et sur de sublimes montures, des chevaux d'une exceptionnelle beauté.

En puisant dans la tradition juive de leur temps, les évangélistes vont donc donner une résonance forte à un événement qui aurait pu passer pour un fait divers au yeux des profanes. Ils vont (surtout Luc) insister sur l'aspect royal et pacifique d'une entrée que l'on veut triomphale pour souligner le caractère hautement divin de cet événement. Jésus est présenté comme le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs. Un des nombreux titres impériaux que portait l'empereur romain était celui de "soter" qui signifie "sauveur". Pour les premiers chrétiens, Jésus ne pouvait être que le seul et unique Sauveur.

Il est probable que Jésus ait voulu donner un caractère prophétique à son entrée à Jérusalem. En choisissant un ânon, il s'inscrit d'office dans la tradition d'Israël, faisant écho à la monture royale de l'humble serviteur de Zacharie 9.9. « Éclate de joie, Jérusalem ! Pousse des acclamations, ville de Sion ! Regarde, ton roi vient à toi, juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse ». La mission de Jésus est bien d'apporter la paix comme le rappelle le verset 10 qui suit : « À Éphraïm, il supprimera les chars de combat et les chevaux à Jérusalem ; il brisera les arcs de guerre. Il établira la paix parmi les nations ; il sera le maître d'une mer à l'autre, de l'Euphrate jusqu'au bout du monde ».

Dans cette perspective, on comprend la liesse populaire de ceux qui agitent des branchages et étendent leurs vêtements au passage du cortège messianique en criant : « Hosanna ! » Ce qui signifie : « Sauve, de grâce ! » Jésus est perçu comme le sauveur qui vient libérer Jérusalem et qui, toujours selon Zacharie (14.4) descend du Mont des Oliviers pour ensuite monter dans la ville sainte pour y établir la paix entre les nations. Alors que les uns attendent une délivrance nationale, Jésus propose la délivrance des cœurs par l'instauration d'une vraie paix intérieure. Jésus se présente donc comme le Prince de la paix qui apporte la paix au monde dans la ville de la paix.

Mais, Jésus est également venu en Sion pour célébrer la Pâque juive, pour y commémorer selon l'exigence de la Torah, la sortie d'Égypte et de l'esclavage, en respectant cette tradition qui se perpétue de génération en génération. Cette Pâque voulue de Dieu est symbole de libération, passage des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie. Jésus veut donc rappeler à ses disciples que chacun est appelé à vivre cette Pâque, le passage de l'état de pécheur, à celui d'homme nouveau. Les fils et filles de l'humanité sont appelés à devenir fils et filles de Dieu. Jésus lui-même s'est toujours présenté comme le Fils de l'homme mais la foule ici reconnaît en lui un roi, un prophète (Mt 21.1), celui qui vient au nom de Dieu, son Christ, son Messie.

N'oublions pas, toutefois, qu'avant de se mettre en route vers Jérusalem, Jésus a annoncé clairement ce qui allait lui arriver. Ainsi, à Jacques et Jean qui réclament une place de prédilection aux côtés de Jésus dans son Royaume qui vient, il leur répond : « Pouvez-vous boire la coupe de douleur que je vais boire, ou recevoir le baptême de souffrance que je vais recevoir ? » (Marc 10.38) et plus loin il ajoute : « Le Fils de l'homme n'est pas venu pour se faire servir mais il est venu pour servir et donner sa vie comme gage pour libérer beaucoup d'hommes » (Marc 10.45). C'est donc d'une façon consciente que Jésus avance vers sa passion et vers sa mort par amour de l'humanité.

Il est une autre entrée triomphale dont parle l'Écriture, et que nous ne pouvons ignorer, c'est celle de l'antique Arche d'Alliance, lorsqu'elle est introduite à Jérusalem sous les acclamations et au son des trompettes (2 Samuel 6.15). La gloire de cette arche de l'Ancienne Alliance se verra bientôt supplantée par celle de celui qui incarne la Nouvelle Alliance. Au moment de la mort de Jésus en croix, alors que l'obscurité couvre la terre en plein jour, le voile du Temple - censé abriter l'arche du regard des humains - se déchire en deux afin que désormais les regards se tournent vers le Crucifié.

À ceux qui attendaient la manifestation glorieuse d'un nouveau Roi-Messie capable, comme David, de bouter l'envahisseur hors des frontières d'Israël, Jésus se présente non seulement comme le Prince de paix réconciliant les nations, comme le Serviteur de Dieu qui refuse toute violence, mais aussi comme celui qui vit pleinement la dimension de la Nouvelle Alliance annoncée par Jérémie : « une alliance inscrite non plus sur des tables de pierre mais dans leur conscience ; je les graverai (les paroles de Dieu) dans leurs cœurs, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » (Jérémie 31.33).

C'est de tout cela que Jésus veut témoigner en entrant publiquement à Jérusalem, inaugurant le temps de sa passion. Il sait qu'il n'échappera pas à la vengeance des gens bien pensants que bouleverse et déstabilise son enseignement ; eux qui sont confortablement installés dans leur légalisme et conformisme sans âme, sans compassion et sans vie. Leur Loi et leurs cœurs, durs comme la pierre, méritent d'être remplacés par l'affection et la tendresse d'un cœur aimant, par l'Esprit des béatitudes, par l'amour de Dieu et du prochain.

Non, Jésus ne commet pas une imprudence en entrant à Jérusalem de façon tapageuse ; non, il ne vient pas provoquer ses opposants ; il vient en ce temps de Pâque témoigner de sa foi en l'amour du Père, vivre ce passage de la mort à la vie. Il sait qu'il devra boire la coupe jusqu'à la lie et souffrir la mort la plus ignominieuse qui soit, mais il veut croire que la leçon portera ses fruits en chacun de nous. C'est en ce sens que l'amour peut triompher de la mort, de toutes les morts qui nous hantent et nous habitent. Alors posons-nous la question : Quel amour nous fait vivre aujourd'hui ? Le bonheur n'est pas dans les biens que l'on possède ni la gloire dans les triomphes éphémères, mais dans ce qu'on est et apporte aux autres. La seule façon d'honorer Dieu, c'est de l'aimer quoi qu'il en coûte. Amen !   http://www.protestanet.be/spl

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